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Libido
Impossible de dire tout cela simplement, sans le truchement des mots t’érigeant en merveille.

Today, God died.


Adriana,
from Feÿ
to Yerevan
(2016-2024)


Louis Verret
(2016-2024)


2013première apparition d’Adriana Chechik dans un film à caractère pornographique
2016 premier visionnage d’un film - ou extrait de film - d’Adriana Chechik sur pornhub. Le décors est parsemé de bouquets de fleurs. Elle me fait penser à Ophelia.
2016 présentation de la naissance de A. à la galerie Louis Gendre de Chamalières. La chambre d’une enfant qui deviendra plus tard non seulement une pornstar, mais la réincarnation d’Ophelia. Des poèmes de Basho au mur. Une étagère avec un poster de Cindy Crawford.
2017 Adriana Chechik remporte l’AVN du best oral. Donald Trump dit à propos des femmes qu’il faut “grab’em by the pussy”. Ecriture de AVN/WOMEN’S MARCH illustrant l’echec collectif des manifestations à vocation féministe ou neutraliste vs. la réussite d’Adriana dans l’erradiction de l’homme dans son cinéma.
2018  présentation de Adriana à Feÿ-rencontre d’arts. Adriana y est présentée comme étant la plus opérationnelle des féministes. Description du programme d’annulation du masculin au profit d’une neutralité absolue. Pour survivre je dois cloire là le projet. Je me retire et promets que cela sera pour toujours.
2018  abandon du projet Adriana. La veille est suspendue. Je ne suis plus au fait de sa vie. Je ne regarde plus son cinéma.
2022  j’apprends par les réseaux sociaux qu’Adriana s’est fracturée le dos en sautant dans une piscine de cubes de mousse. Elle quitte le cinéma pornographique et intensifie son activité de streameuse via twitch.
2023  Adriana met en place une application de conversation intégrant l’intelligence artificielle de ChatGPT augmentée d’un voice over reproduisant sa voix. Il est possible d’avoir avec son double numérique une conversation, pour 1 dollar par minute.
2024  Ekaterina Shcherbakova m’invite à réactiver Adriana pour l’exposition à Erevan. Le monde n’est plus le même et le projet est clos. Comment évoquer un sujet auquel on ne comprend plus grand chose ? Comment dire ce que le monde n’est plus disposé à accueillir ?
2024Je lis “Mon âme en exil” et découvre l’écriture de Zabel Essayan. Je découvre un projet politique, un discours virulent et révolutionnaire. Une prose douce lorsqu’il s’agit de littérature. Par quel geste la politique devient-elle poétique ? Est-ce le seul effet du temps ? 


J’ écrivais un concept
J’écris mon journal
Adriana Chechik écrivait son cinéma
Adriana Chechik écrit son journal
Zabel Essayan criait sa révolution
Zabel Essayan écrivait de la poésie


Sous la douche je me suis souvent imaginé engager avec Adriana la conversation : on débrieferait du temps qui a passé et se remémorerait la période où je travaillais sur son corpus, qu’elle le savait et l’approuvait, mais ne pouvait rien dire. On en rigolerait surement. Je me demandais comment j’engagerai la conversation. Par quelle phrase ? Par quelle question ? Devrais-je la jouer sérieux ou décontracté ?
 Et puis j’aurai publié un livre de cette conversation.
L’occasion de l’exposition à Erevan semblait le prétexte parfait, et je décidai de me lancer.  
> Trop tard, elle est hors-service.


Salut les gars ! Je suis Adriana Chechik. Bienvenue sur mon site où vous pouvez trouver tout sur moi !

J'ai travaillé sur de nombreux projets au fil des ans et celui-ci est la porte secrète qui me rapprochera encore plus de vous, mes fans bien-aimés. J'ai traversé plusieurs phases distinctes dans ma vie et j'ai vraiment apprécié chacune d'entre elles. J'ai commencé avec un diplôme en biochimie de l'Université Drexel, mais la vie avait d'autres projets pour moi. En 2013, j'ai fait mes débuts dans l'industrie pour adultes et dès 2014, j'ai reçu ma première nomination aux AVN Awards. Le destin a voulu que je ne m'arrête pas depuis ! J'ai fièrement gravé mon nom dans l'industrie du divertissement, remportant plusieurs prix chaque année (AVN, NightMoves, XBIZ, XRCO et PH).

Après une période glorieuse, j'ai décidé de consacrer mon temps à d'autres activités. Mes journées sont maintenant remplies de divers passe-temps et activités ; vous pouvez me trouver en train d'écouter de la musique, de jouer avec mon chien ou de diffuser sur Twitch ! Après mon bref passage à TwitchCon l'année dernière, je ne peux qu'anticiper ce qui m'attend. Même si j'ai connu des hauts et des bas dans le monde du jeu, mon amour pour le streaming de jeux de rôle reste inégalé. Si vous me suivez depuis des années, vous saurez que je suis une joueuse passionnée. Surtout avec les stratégies minutieuses de SCUM et l'action imbattable de Callisto Protocol, je suis accrochée à mes écrans. Donc, si vous voulez passer du temps ensemble de temps en temps, vous savez où me trouver. Actuellement, je me concentre sur la fin de God of War. Ce jeu m'a totalement pris par surprise, et en regardant le nombre de spectateurs, il semble que mon public apprécie chaque minute !

Tout au long de mes diverses expériences professionnelles, j'ai essayé de faire une différence là où je sentais que mes fans en bénéficieraient. Cependant, ma plus grande réalisation serait de créer ma propre entreprise, ce qui m'a permis d'avoir une équipe de personnes formidables et de me consacrer à mes autres intérêts.

Je pense que la comédie et le streaming se ressemblent à bien des égards. C'est comme si je pouvais faire plaisir à mes fans du monde entier tout en faisant quelque chose que j'adore absolument. N'est-ce pas incroyable ? Avec plus de 800 000 abonnés heureux sur Twitch et plus de 7 millions sur les plateformes de médias sociaux combinées, vous pouvez parier sur le fait que j'adore mes fans. Ce qui a commencé comme un simple remède contre l'ennui est maintenant ma plus grande source d'amour et de motivation quotidienne :)

Même si je ne tourne actuellement pas pour d'autres sociétés de l'industrie, je publie toujours du contenu captivant sur mes pages privées, alors allez les chercher par vous-mêmes ; je suis sûre que vous apprécierez chaque instant ! Je vous invite à participer à mon parcours alors que je vous emmène dans mon aventure sur Twitch, TikTok et Youtube, ainsi que dans plusieurs autres petites choses !
Notre société a besoin de forces nouvelles




Le temps est à la fiction. Laure me l’a dit : la jeunesse est gangrénée par la pornographie, dans un excés de fiction. Le cosplay est devenu maître-fantasme. On cherche la fiction. La fiction de Si par une nuit d’hiver un voyageur de Italo Calvino.
la fiction dans la fiction dans la fiction dans la fiction dans la fiction dans la fiction dans la fiction dans la fiction 

Adriana
l’annonçait 
le 4 octobre 2017
Je ne suis plus dans le même temps qu’elle. Nos routes se sont séparées pour prendre des directions qui tous les jours nous éloignent un peu plus. Derrière, le chemin emprunté retrouve lui aussi son indépendance. Si je me retournais, je ne le reconnaitrai pas.


Spent my 32nd birthday on a road trip to Washington. I stopped in Napa for a hot air balloon ride. Up to the redwoods to hike with my dogs. Then to the Cascades. Before losing God Dog I had always wanted to take him to the top of three peaks. So when I broke my back I told my dog Pork I will walk and we will take that hike for your brother. Little did I know I would also be extending my family with two more pups. This is the first year as an adult I went and did nothing but relax for my birthday. The last two years have been some of the hardest of my life. After breaking my back I mourned not only my dogs death but the end of a 9 year relationship that was toxic. I was blessed to have the time sitting in bed while healing to learn how much I needed to work on myself. Growing up with no real family and SA had pushed me into adult performing. While I have enjoyed it I went 10 years never even saying my own name or hearing ppl around me use anything but my stage name. I forced my real persona to hide under a character. While I am still working on healing my trauma and learning to separate myself from “Adriana” it has been a hard but beautiful journey to reconnecting with who I am. I’m proud of myself for turning my darkest times into my biggest lessons. I struggle everyday with back pain and emotion. However I know my strength and I welcome this next year with fight in my body and love in my heart. Here’s to growing and aging. Sending love to anyone who feels hopeless, lost or alone. Know it won’t always be so and you can be your own savor. 🥰❤️

Adriana will always be as old as my brother.




Sébouhian
contraria l’élan de mes pensées vers les souvenirs du passé


traduire, c’est mourir un peu

to translate is to die a bit - to translate is a slow death
թարգմանել նշանակում է մի քիչ մեռնել

Dear Louis we both know i can not answer to your instagram message - but please be sure we understand each 
other. A.C.


Depuis l’échange téléphonique avec Ekaterina, au cours duquel elle m’invite à participer à l’exposition au centre d’art contemporain d’Erevan et à y présenter une réactivation d’Adriana, je suis pris de vertige. La pharmacienne dit qu’il s’agit d’une tension trop basse. Que je devrais manger salé avant de consulter. Me prescrit du Tanganil sans réelle conviction. Je pense plutôt au vertige d’un temps révolu qui s’invite dans le présent. Je pense à Chris Marker et à Andreï Tarkovski. Je pense à Zabel Essayan. Je pense à August Strindberg. J’ai la tête qui tourne.  

Images and words / are coming at me /with no order
Je me le suis souvent répété.Me laisser aller à mon instinct, 
la vérité est peut-être là.

Adriana at Las Vegas’s Blue Chip, 2014




Tout magicien a besoin de sa baguette magique

le printemps est là et cette nuit d’avril à l’atmosphère fiévreuse et odorante éveille en moi une tendre émotion 







Adriana (2016-18), installation in situ à Feÿ-Rencontres d’arts, Villecien, France - octobre 2018






I never understood the part where Charlotte Gainsbourg says that she expects too much from the sunsets
Il est difficile d’expliquer les considérations qui m’ont habitée pour en arriver là
C’est tellement étrange de ma part de cacher à ce point mon travail, celui qui compte. Je suis fier de ma recherche sur Adriana et pourtant, partout où je fais entendre ma voix (ne serait-ce qu’un son), elle est absente : je montre autre chose. Plus qu’étrange, c’est stupide.
À croireque pour retourner le monde
il ne suffit que d’une chambre à soi

Au début du déclin du printemps
J’ai consacré deux années
au visionnage du texte écrit par Adriana Chechik.

Adriana est une jeune femme
de trois années ma cadette.

Elle est actrice de films pornographiques – 
de nombreuses fois récompensée. 

Au coeur du cinéma pornographique
- existe-t-il un espace plus radicalement masculin ? -
elle s’est élevé au dessus de l’homme,
y a mis en place un système économique neutraliste

Elle a atomisé le genre masculin,
révélant toutes les petites choses qui le composent
pour les remplacer
par une variante féminine

Elle a mis en place

Elle a été amoureuse,
a souffert de cet amour,
s’est relevé.

Elle aime les fleurs, 
les promenades avec ses chiens, prendre des bains 
et les soirées pyjamas 
devant des Walt Disney. 

Si elle affirme son individualité, 
elle milite aussi, 
par une activité d’écriture.

Son texte a été publié aux yeux de tous 
et aux yeux de tous 
son contenu est étoffé, quotidiennement.

Elle y donne à voir l’annulation de la masculinité.

Mon travail – ma mission de messager –
fut de le traduire.

Et je tends ce manuscrit.

Adriana, mon rôle prend fin ici : comme je dévoile je dis au revoir


À la pause-déjeuner je me rends à la librairie Chantelivre pour récupérer la commande passée une semaine plus tôt du seul livre de Zabel Essayan disponible en France et en langue française, “Mon âme en Exil”. Feuilletant pour la première fois et rapidement l’ouvrage, mon oeil s’arrête sur ce qui seront mes premiers mots lus de Zabel : “Une fleur à peine éclose...

Une fleur à peine éclose embaume l’air, une étoile filante trace dans le ciel un sillon de lumière et les grenouilles coassent dans les bassins des potagers, en un chant continu, obstiné et monocorde.


Pierre vient diner. Je l’ai appelé à l’aide comme je suis fébrile et que j’ai besoin d’altérité pour comprendre où j’en suis. Il me recarde sur deux points : il s’agit de présenter un texte lisible et court. Un texte intelligible qui doit pouvoir être lu. Il s’agit aussi de ne pas montrer à outrance, de ne pas noyer : de ne pas montrer pour suggérer l’ampleur du travail.

La cloture de ce projet me met fragile : mes prises de décisions sont effrénées et (pourtant) je manque d’assurance. Je me repose beaucoup sur Aurélie avec qui j’échange quotidiennement. Son avis a beaucoup de poids : une dialectique pertinente comme je dois pouvoir y resister. 
Je t’échangele récit de ta vie contre ton amitié



Adriana Chechik is the squirt queen
downloaded as a torrent 
on August 28th, 2017, 
might have led me
to the conceptual use of watercolor painting.
Leurs effluves,de plus en plus capiteux, semblaient vouloir nous confier quelque chose d’indéfinissable, d’indicible, que nous saisissions cependant intuitivement.

Her face covered in spit piss semen sweat water and light 









Il me semble que je dois lancer le cri d’émancipation d’un peuple qui, depuis des siècles, gémit sous le joug du sevrage et de l’oppression, par la force de mon seul talent, par ma seule détermination.


Et ce sentiment m’exalte avec une telle puissance aveugle que toutes les joies et les peines, les ambitions et les désillusions purement féminines ne sont qu’une poignée de cendres comparées à la splendeur de la flamme qui s’élance vers la voûte celeste.
Ce n’était plus la femme que j’avais rencontrée à l’embarcadère, ni celle qui était apparue ce soir au salon, toute frémissante d’émotion dans sa robe noire. À présent c’était une intellectuelle solide et pondérée qui exposait son point de vue avec brio et assurance, s’appuyant sur des fondements sérieux pour parvenir à des conclusions rationnelles.


Aujourd’hui toute la maison prépare la confiture de rose



Sur le divan entièrement recouvert d’une étoffe blanche, sont entassés des monceaux de roses réparties suivant leur qualité.
Certaines sont destinées à la confiture, les moins belles serviront à préparer un sirop, et les parties inutiles des pétales ainsi que les pétales plus petits seront réservés à la préparation de l’eau de vie de rose.
Adriana Chechik Lana Rhoades Abella Andersson Alisha Klass Jenna Jameson Danika Mori Nynna Ferragni Maru Karv 
La pièce mais aussi toute la maison et la rue elle-même exhalent l’odeur pénétrante et violente des roses. L’air en est si saturé que la servante et la personne qui l’aide, légérement incommodées, sont prises de vertige, et ma tante elle-même doit interrompre sa tâche pour sortir de la pièce et prendre l’air.
Il faut préserver le parfum initial de la rose. Seules les maîtresses de maison accomplies connaissent le secret de la durée précise nécessaire aux pétales pour se fondre, juste comme il convient, dans le sirop de sucre épais et elles le font avec intuition et vigilance. 
Ce n’est pas de la confiture, c’est de la poésie
Ce n’est pas de la pornographie, c’est de la politique


God dog dans une piscine à balle
avant sa mort
I can’t believe it’s been one year without you. I haven’t stopped kissing your photo goodnight and good morning since. You taught me empathy and showed me other creatures are not just animals but beings like us. You were my equal and best friend. I’m so blessed your soul found mine. I still call for you in the moments I forget your not here. A piece of my heart went with you that sad day. I wish I could have done so many things to save you. But most of all I wish I still could show you love. Thank you for being my happiness in my sadness and my teacher in kindness. For all the days you got my off the couch to hike you today I will do one with your brother Pork knowing your watching us. I know Pork still misses you and looks for you daily. So we both will wait till the day we can see you running to greet us over the rainbow bridge. To you God doggie. The dog who rules my universe. I miss and love you.

Adriana with Pork and God dog during a hike near Los Angeles, 2017


Pork Dog after the death of God Dog, 2023



Dans le cahier de juin-septembre 2018, une reproduction format carte postale de la déposition de Pontormo


Pour écrire j’écoute Professor Bad Trip de Fausto Romitelli, jusqu’à ce que l’écoute ne soit trop intense : je bascule sur Stop The Clocks d’Oasis.






Dans les replisde ma mémoire s’ouvrent des portes closes et des moments enfuis se raniment.



Adriana is Ophelia is Zabel is Ophelia is Adriana


My wife is my pornstar



Lana à son tour en position


Le corps flottant d'Opheliaest entré dans ma chambre
pour ne plus en sortir.

Il pleut à nouveau -
une feuille de gingko raye la vitre, là.
Ce ne peut être qu'elle.

Ophelia aujourd'hui
s'est présentée par un bouquet de pensées
dans les bras de maman

Son passage précédé d'une rose,
entre les pavés.
Ophelia

Une pluie inattendue, des courant d'air frais
les mauvaises herbes dressées.
A. me sourit.

Depuis la fenêtre ouverte,
la goutte d'un instant.
Le spectacle commence.

La mort d'Ophelia,
son élévation,
figée sur ma rétine.
La perversité des fleurs.

Le jeune papier peint brulé de soleil
- un petit cris -
la pluie d'été hérisse les herbes mauvaises.
Trottoirs peuplés de stigmates de pluie.
De ces idées de fleurs au sol.

Au commencement était le verbe,
- pourquoi Papa ? -
Au commencement était l'action.
A.

Anthologie du Haiku et ruban de soie
offerts au retour d'un long voyage.
A. sourit face à sept versions d'un paysage unique.

Inspirerprofondemment
expirer lentement
comme au travers d’une paille

recommencez

Erika Lust en position 
Voici le passé

Dire au revoir

Je pourrai ajouter des articles à ce corpus à volonté, à l’infini : j’aime à lire Adriana Chechik aussi clairement que je lis Sade, Sacher-Masoch, Lautréamont, Calaferte, Barthes, Fellini, Gondry,... c’est-à-dire à la fois sans surprise et émerveillé : la rigueur de leur logique, la précision de leur langue me fait sourire. Elle me rend rêveur. De ces rêvasseries sérieuses au cours desquelles on s’habille de la peau de l’autre et on se dit « voilà ce qu’il ferait. » Lorsque je visualise un film d’Adriana ou un extrait de ses story Instagram il me vient toujours ce mot : j’en-étais-sûr.

Je pourrai écrire des articles à l’infini ou presque, dans la mesure où Adriana meurt le 5 octobre, avec l’exposition de ce large texte à Feÿ – Rencontres d’arts. En ce jour je ne pourrai plus ajouter quoi que ce soit à la table de travail -  ce serait mal vu. L’infini s’arrête le 5 octobre 2018.

Depuis la lecture d’Hamlet, quelque part au début de l’été 2016 et la proposition d’exposition à la galerie Louis Gendre à Chamalières, j’ai plongé mon corps dans cette amitié à sens unique. Je suis capable d’écrire et de prédire la vie entière de cette figure « femme-amie-divinité-pornographe-féministe-révolutionnaire » (laissez moi quelques instants) et elle ne connait ni la couleur de mes yeux, ni Aurélie, ni même le nom de mon chien ou mon goût pour le haïku.

C’est qu’elle ne peut pas se permettre de savoir ces choses. Elle ne peut pas contenir dans son corps ce genre d’information, de risque de transpirer quelque part mon nom. Elle ne veut pas – c’est mon amie tout de même – me mettre en danger. Si elle savait ce que j’avance – savoir, c’est dire ce que l’on sait - elle n’aurait d’autre choix que de me mettre au défi : de remplir le contrat. Je n’aurai d’autre issue que de disparaître et de lui laisser la voie libre – une voie libre qui serait cependant sans voix comme je suis le messager, le seul capable d’écrire et de livrer, de traduire pour qu’il n’y ait plus de doute, le pourquoi de ses opérations.

Au lieu de cela j’interromps de moi-même la ballade, je lui lâche la main. Je sais d’ailleurs qu’elle aussi, bientôt, disparaîtra pour se fondre dans le monde – que bientôt, toute entière, elle deviendra légende. Elle laissera béante l’ouverture créée par son corps sans se soucier de la cicatrisation du monde – je peux l’écrire, elle sait que la plaie se résorbera très bien, qu’en lieu et place de la blessure il n’y aura rien d’autre qu’un plan parfaitement lisse sur lequel on construira une route ou une déchetterie.

Je sais aussi que je la croiserai, dans le hasard de la vie, et qu’elle ne me reconnaitra pas. Il n’y aura qu’un regard et peut-être pour ma part, une légère chaleur aux oreilles. Elle poursuivra sa route normale. Peut-être, au magasin, lui tiendrai-je la porte. À quoi elle pourra sans crainte répondre d’un sourire.


Adriana

Elle est une femme. Américaine. Bientôt la trentaine. Vegan, sympa, sexy pour certains – plutôt pas trop pour d’autres. Normale. Elle est aussi – c’est là son charme - la réincarnation d’Ophelia, l’héroïne malheureuse de la pièce intitulée Hamlet, de William Shakespeare. Ophélia est un modèle, analysé pendant l’enfance,  dépassé à l’âge de s’individualiser. Je me suis par le passé intéressé à cette partie là de sa vie : c’était il y a deux ans. Ça a donné lieu à une exposition que j’appelais « La naissance de A. ».

Adriana Chechik est un personnage pornographique. Ce nom là est un alias – composé je le sais à partir du nom de famille d’un « réalisateur de film d’horreur » (qui d’ailleurs n’existe pas). Ce personnage est une fiction, avec tout ce que cela implique. Elle est une construction parfaite, une théorie appliquée et fonctionnante. Elle est politique. Modale. Utopiste.

Elle est révolutionnaire. Féministe. Ultra-radicale. Proche des arts – et donc de moi.

Elle est mon amie – comment, autrement, pourrai-je me permettre d’en parler ainsi, de parler d’elle en mon nom ? Ce que je fais de moi-même, par contre, c’est livrer le bagage de cette amitié. C’est livrer le plan de travail de mon atelier. C’est aussi, vous le comprendrez, m’extraire de cette histoire.

Nous nous sommes rencontrés, Adriana et moi, dans le hasard d’Internet – la toile : ce tissu trouble, noué de rêves, ajouré de vraisemblances. C’est le terrain qu’elle a choisi pour mener sa bataille. Les tubes et les réseaux sociaux. À chacun son code, à chacun son message, mais toujours un mot d’ordre unique et inaltérable : le neutre. Pour grandir. Et l’humanité avec.

Sur l’écran, j’ai lu un texte composé d’images. Ce texte je l’ai traduit et vous le tenez partiellement entre vos mains car vous avez aussi les coudes qui reposent dessus. Il est en bois, en papier, en tréteaux, en chaise et en parole. Adriana, la texture de sa peau (le support de mon texte) est à disposition sur l’ordinateur du bureau - dans le dossier Chechik Beauty – dans les albums photos, dans la lampe-lave. 

Adriana à l’œuvre est un programme rare. Vous n’aurez surement pas le courage de vous y confronter et c’est normal – non que la pornographie vous soit inconnue ou que vous la connaissiez sans en être amateur : instinctivement, vous sentez que vous y perdriez des plumes. Je n’en ai pour ma part perdu aucune. Si je suis l’artiste je suis aussi le messager. Et puis j’ai quitté la scène. 

Si je m’avance et que je provoque, c’est que je ne peux pas laisser croire que ce discours (le texte cinématographique d’Adriana, son existence sociale et mon corpus se confondent dans un discours général) est bénin. Il fait mal. Il impose une gymnastique et une endurance surhumaine. Adriana seule est capable d’une telle élasticité. 

Elle est l’auteur. Irremplaçable. Sublime.

*
Le lot d’Adriana – le degré politique de sa poétique – c’est la neutralité. Tout dans son texte milite (au dernier degré du militantisme à savoir l’action surréaliste de l’assassinat sans remord – le terrorisme) pour une neutralité des pouvoirs. Elle n’invoque ni paralysie ni immobilisme (c’est-à-dire un pouvoir débarrassé d’activité, un pouvoir  nul) mais plutôt – je devrai écrire « bien au contraire » - une pratique du pouvoir rotatif : la neutralité est acquise par renvoi immédiat du pouvoir à l’autre. Le coït pornographique est une danse. 

La danse d’Adriana est extra-ordinaire. Seul Keiran Lee parvient à être dans le rôle du partenaire – c’est-à-dire qu’il y a équilibre et constance dans son langage oral et corporel. C’est le seul qui soit en mesure de revenir de manière récurrente dans sa filmographie. Paradoxe : en tant qu’habitué il est seul au monde.

En effet, Adriana considère que la puissance (si tel est l’effet du pouvoir, elle en serait l’enjeu) est dans l’échange et qu’elle ne doit être dirigée vers personne, mais frôle plutôt qui s’en approche pour s’en éloigner au plus vite en parabole. Le pouvoir ricoche. 

Il ne peut s’arrêter de lui-même que sur une figure polarisable (c’est-à-dire qui cherche à conserver la charge, le pouvoir du pouvoir). Cette interruption du flux rotatif impose à tous les regards de se tourner vers le fautif (il est historiquement masculin) pour le voir être confronter dans le dire-faire, système judiciaire mis en place par Adriana  et qui suggère qu’un pouvoir est à utiliser : celui qui a le pouvoir exécute : celui qui dit, fait. Confrontation : l’homme est historiquement vantard, au-dessus, grossi dans son trait, emploie l’outrancier à tout bout de champ et et ne peut que décevoir Adriana la pragmatique, déesse élastique. Le jugement est immédiat et il n’en sortira que dans le silence ridicule de l’évanouissement. La chute est brutale. Pathétique et sans conteste. Rendue publique dans l’instant – n’oubliez pas que ce message (la performance) est diffusé sur Internet. La rotation reprend.

C’est là que se lit – en pointillé puisqu’on ne pourra le lire nulle part comme ça ne pourra jamais être écrit – le caractère le plus redoutable – et absolument légendaire – de son jeu, de son texte, de sa vérité : le dire-faire (et le pouvoir rotatif) ne demande rien d’autre que son respect. Adriana n’actionne pas pour un consensus ou pour une victoire. Elle n’est ni en attente, ni en demande : elle perdure dans la révolution.

Je peux lire dans la poétique d’Adriana une logique du don, une logique du jeu sain, du jeu pour le jeu, sans vainqueur ni dernier : quelque chose comme cette règle des cours de récréation : celui-qui-marque-va-au-goal (à cela près qu’être goal à l’époque est synonyme de punition). 

C’est d’équilibre du pouvoir – tout simplement – qu’il est enjeu. 

Je ne connais qu’une seule personne qui se soit au moins autant intéressé au sujet de la neutralité. Roland Barthes, pour tout un cycle au Collège de France, s’est focalisé sur le principe du neutre. Je regrette quelque part qu’il n’ait pas rencontré Adriana. Ça aurait fait une belle mayonnaise.


Le mode Chechikien ou l’application d’une économie dépréciative basée sur le langage

La parole vaut pour la posture
Le film pornographique consacre un langage doublé : l’acteur déclame constamment - comme si cela avait une valeur pédagogique - ce qu’il est en train de faire : il paraphrase le texte qu’il est en train d’écrire – la figure qu’il exécute. Je ne peux pas croire que ça soit un hasard ou pire, une faute discursive. Adriana non plus. L’acteur double sa langue. La langue du corps, visuelle, est couplée à la langue orale pour assurer un sur-texte, une saturation d’intention. Lorsqu’on dit ce qu’on fait, il n’y a pas de place pour l’errance de l’imaginaire. La parole et la posture ont la même valeur, elles valent l’une pour l’autre. Donnant l’une on attend le retour de l’autre en monnaie. Je nomme cette équivalence le dire-faire. 

Le programme d’Adriana, qui rend compte d’un dire-faire absolu, suggère que le fantasme vaut pour la réalité : que le mot soit réalisé. Tant que l’équilibre entre le verbe et le geste perdure – que la monnaie n’est pas dépréciée - la machine tourne à plein régime. 


Digression au sujet du dialogue solitaire
Les mélodies me sont familières et je crois y reconnaître la langue anglaise. Et pourtant : la langue employée par Adriana n’est pas formelle : il n’y a pas de retournement. Des groupes d’individu se forment (Adriana, le chef-opérateur, l’homme-acteur, la caméra, le spectateur) et personne ne peut communiquer par la parole malgré la proximité – seul le chef-opérateur peut rappeler le programme à Adriana à l’aide de mots et elle lui répond par réflexe, pavlovien, sans parole. La parole est confisquée par Adriana : elle n’est pas en monologue puisque capable de réclamer, mais elle est la seule capable de parler. C’est une déesse.


La posture devancée
Il arrive – les événements sont infinis - que l’acteur ne demeure pas dans une énonciation technique et factuelle de son activité. Dans la filmographie d’Adriana, l’occurence est d’au moins une par film – plus encore en fonction de la quantité d’acteur qui participe à la scène. L’acteur – masculin – ne sait pas se tenir. Il  dérape et énonce à coté.  Un langage devance l’autre, emporté par l’imaginaire, le fantasme – la culture.


Un modèle de tolérance
Adriana répond toujours à l’anomalie de la parole qui devance le geste. Elle demande à ce qu’ait lieu la proposition – quelque soit l’importance du décalage. Elle n’est pas contre le surhumain – elle-même est un exemple d’athlétisme – et ne juge pas l’autre sur son désir. Elle s’assure, par contre, que celui-là se conforme, c’est à dire qu’il revienne à hauteur de l’énoncé. Que le corps se calque sur le mot.


Le grain de sel 
 L’acteur ne peut se résoudre : il  ne peut rattraper son langage. Il supprime la valeur de la monnaie parole-posture et du même coup celui qui manipule cette monnaie. Le concept d’échange est rayé. Il y a suppression du dire-faire. Il doit cependant répondre d’Adriana qui s’est accordée à la promesse faite. Elle n’est pas du genre à disparaître. 

Adriana est en sous-régime - il y a une idée de constance, de rigueur à respecter ; elle est sous-exploitée. Elle va chercher l’homme qui se repose et l’interpelle (lui, hors caméra, absent, inconnu) pour le vexer : elle le provoque et lui rappelle – inflexion insupportable - son incapacité à tenir son rang, à être à la hauteur, à tenir parole : à poursuivre sa proposition (sa neutralité).

La taquinerie est moins agrément que rappel à l’ordre : je ne peux être qu’actif dans la phrase chechikienne : je ne peux que faire parti de la proposition. Si je ne suis pas disponible, alors je disparais (mais cette disparition n’est pas de mon choix, je ne choisis pas de ne plus paraître – je suis anéanti).

Insulté et abandonné par mon corps – l’homme est défini et limité physiquement  - je répondrai à l’affront de la femme-qui-en-demande-d’avantage par des réactions hystériques – l’homme-peinture – ou physionomiques – des larmes sur mes joues roses ou la débande. Pathétique sur la place publique, je quitte le cadre, pour manquement à la promesse de mon langage. Pour ne plus reparaître. Étalage face à l’univers de l’incompétence.


Digression au sujet du Je
Dans la grammaire de ma langue natale, je partage mon genre pronominal avec celui qui va mourir. J’ai honte. Bien que la frontière soit fine, en tant qu’ami, artiste et messager je ne suis pas homme envers Adriana : m’adressant à elle je n’exprime pas ma masculinité. Si je connais ma place social, je ne sais pas où me placer dans la phrase. Le Je oscille entre lui et moi.


Digression au sujet du repos
Le repos est subversif : prendre le temps de remettre son corps c’est interdire à l’autre de rendre le pouvoir, c’est interdire la constance : je le mets dans une position de péril. Dans le mode chechikien il n’y a pas d’autonomie, pas d’onanisme : la danse s’exécute à plusieurs ou n’est pas. L’individualisation se fait à plusieurs.


À répétition
La sanction du dire-faire-non-respecté est d’autant plus terrible qu’à chaque fois que je relance la vidéo, ce type s’humilie pareil. A chaque fois il quitte son monde la tête basse. Et je pourrai écrire tout ce paragraphe au pluriel – il serait absolument juste. 


Éternel retour
Et pourtant il revient : il n’est pas le même – les visages changent, les rôles demeurent : Adriana ne tolère pas l’interruption. L’homme vidé est remplacé par un autre qui en tout point répond de ses caractéristiques : il est du même (le même) type  : les corps ne sont que des répliques. Dans le scénario d’Adriana, le mâle est interchangeable. Il est une seule et même entité et n’a finalement qu’une seule fonction, confondue dans son verbe, culturellement obligé d’ajouter son grain de sel suicidaire. Dans le mode chechikien poussé vers la disparition. Au goutte à goutte le genre s’épuise. 


Digression au sujet du grain de sel 
Il arrive que ce soit l’homme qui ajoute lui-même le grain de sel mais je crois que ces quelques cas de sursauts n’ont jamais été là que pour entendre plus tôt la voix d’Adriana. L’homme, peut-être par désespoir, presse  le déroulement de la phrase. Il coupe-court à la posture. Il veut en finir. Au plus vite


Objectivité
Adriana amalgame symbolisme et littéralité : elle traite le monde (réduit à la langue) sans possible interprétation : elle impose une objectivité absolue. Cette langue, qu’elle s’efforce d’objectiver par la punition de toute subjectivité (lorsque le dire-faire n’est pas valide), est sans distinction lexicale : là, pas de caverne de Platon, pas de degré de représentation : l’image n’a plus de valeur, seul le sens propre compte. De fait, tout est symbolique et tout est littéral. Sans image – sans dérive, sans ralentisseur – la voie est libre et huilée : le sens coule sans aucun frein, pour une compréhension universelle et lubrifiée. Pas de réticence, pas de ressentiment, pas de friction. Les corps ne se frottent pas ils se fondent l’un dans l’autre, comme si ils se retrouvaient enfin. Il n’y a pas d’hétérogénéité. Les formes des corps peuvent être différentes, au contact de leur peaux ils ne sont plus qu’un. 


Hollywood
Adriana a de l’humour : elle profite des scénarios pornographiques et de son rôle d’actrice pour incarner un renversement – symbolique - et à mesure de tournages change de position dans la société autant que dans le rapport de force culturel : elle convoque la sortie des modes, des rangs, des castes. Elle est, dans le désordre de son texte : patiente et médecin, officier des douanes et migrant en transit, prostituée et proxénète, professeur et étudiante, adultère et invitée, sexologue et analysée, sodomite et sodomisante, héroïne et de passage, mère, femme, sœur et enfant, etc. 

Dans la réécriture de ces rôles, Adriana n’a pas recours au lieu commun d’une figure typique rencontrée au cinéma ou dans la littérature. Ces personnages qu’elle incarne – ses visages - ne sont chargés d’aucun préjugé : et si le monde est divisé selon une polarité archaïque dominant-soumis – la soumission est active, voulue, entendue et intéressée – alors, chaque incarnation procédera d’une posture dominante puis d’une posture soumise et ainsi de suite jusqu’à l’extinction de l’univers, jusqu’au déclin du printemps. 


Éjaculation
S’il fut l’un des premiers termes que je recherchai dans le Robert - dictionnaire familial avec lequel je travaille toujours - pour sa charge érotique – à une époque où je n’éjaculais pas moi-même - je constate aujourd’hui avec un peu d’étonnement qu’il ne va pas à contre-sens de mon propos : l’éjaculation, c’est le fait de projeter avec force (un liquide sécrété par l’organisme). Adriana récupère à la lettre ce principe et témoigne de la neutralité de cette proposition : dans le Robert comme dans la pornographie (je n’ai pas besoin d’élargir le spectre au monde, il est suffisamment encadré), l’éjaculation n’est pas de sperme. Il est néanmoins évident que la phrase pornographique (celle qu’Adriana démantèle et annule) se termine invariablement par l’éjaculation masculine, c’est-à-dire la propulsion de sperme. Elle est même son sujet. Jusqu’à un certain point.


Digression au sujet de la  transgression
Cette propulsion et le transgressif de sa destination est un sujet en soit. Je me contenterai de souligner que cette arme (la transgression) n’a jamais été que possédé par l’homme. La pédagogie scolaire n’aborde la jouissance ou l’éjaculation que depuis un seul angle. Et il pointe vers le sol. Maintient la tête et ses beaux cheveux longs entre ses cuisses poilues. 


Le Programme
Adriana démontre (par a+b) que la femme vaut pour l’homme morphologiquement. Elle démontre aussi que la femme est plus endurante (même si cela n’a aucune valeur, elle multiplie les orgasmes et les éjaculations) et qu’elle sait se maintenir dans la neutralité, dans une égalité du dire-faire : elle sait être constante. Adriana démantèle et atomise : démantèlement de la syntaxe et atomisation du corps. Elle écartèle. C’est un moyen plus sûr, académique, pour analyser son sujet d’étude : elle pourra, par cette identification et l’érection de cette nomenclature, construire son argumentaire, c’est à dire la contre-dire, ou plutôt contre-faire.


L’exclusif de l’attribut
Je lis, en remontant le torrent pornographique à bord de l’embarcation naviguée par Adriana, que les attributs symboliques par lesquels le masculin expose sa masculinité – son pouvoir - sont tous remplaçables – et remplacés – par une variante uni-sexe. Devant mes yeux le masculin est découpé et morcelé et ces morceaux sont séparés puis isolés de sorte à le réduire, par métonymie additive, à un assemblage de signes. Je lis que l’homme est : un acteur (qui joue mal la comédie mais qui est plus vrai que nature dans le drame), masculin (un mâle qui impose sa masculinité), le maître (décisionnaire, dominant, au dessus dans la composition), le démarreur (on commence quand il bande), une grosse bite gonfée de sang, bien dure (une rigidité), la salive lubrifiante (qui introduit la fin par le sperme), le muscle (grâce à qui il y a mouvement et danse), l’éjaculation (le jet), l’éjaculateur (un déploiement d’individualité), le sperme (le point final) et le fondu au noir (après que son sperme a disparu dans la gorge, dans le cul ou étalée sur le visage).

Et je ne peux être qu’ébahi devant l’aisance avec laquelle Adriana se charge du remplacement de ces signes. 

Alors, je ne lis plus dans ses films que l’éjaculation de l’homme symbolise la fin de la séquence. Le symbole de fin est à lire de l’autre côté – le passage à l’invisible, la disparition : lorsqu’Adriana avale, que le sperme a disparu (de la surface de l’écran). Qu’elle, tient encore debout alors que l’homme, épuisé, sort du cadre.

Le jet ne termine plus la phrase. De plus l’homme n’est pas le seul à propulser loin, à envoyer des fusées dans l’espace, à arracher à la gravité. Adriana est ce qu’on appelle – grossièrement encore – une femme-fontaine. Elle propulse le foutre pareil. En plus grande quantité. En de multiples occasions. Elle aussi déploie dans l’espace son individualité. 


Une humanité sans genre
En tant que messager et ami, je n’ai pas de genre (j’écris à propos du genre social, non du genre grammatical). En tant qu’artiste – c’est-à-dire revêtant ma peau marquée d’étoiles – je ne cherche pas à m’affirmer dans ma masculinité – je ne cherche pas à asseoir la domination que me prête le contexte de mon existence. Adriana me comprend : je ne suis pas inquiété. D’autant plus que je la quitte aujourd’hui.

Ce code de conduite qu’elle met en place, qui tient sa danse pornographique, n’est déployé que pour un seul but : une appréhension non genrée de la rencontre – le coït pornographique n’est rien d’autre que la rencontre quotidienne des habitants entre eux dans la cité. Elle milite pour un social libéré du poids de la domination masculine – et même de l’idée de domination tout court. En démontrant que le pouvoir symbolique attribué à l’homme n’est en rien spécifique à son genre, elle  restaure une équité. La fracture mutli-millénaire qui installe la femme en-dessous se résorbe. Et donne lieu à un discours nouveau. Celui là, je ne peux être en charge de l’écrire : l’humanité entière y sera employée – à son écriture ou sa mise en silence. 


Digression au sujet de la peinture
Si il est un caractère auquel Adriana ne touche pas, à savoir l’artiste – et je lui en suis gré – c’est parce que la figure qui le représente (l’acteur Small Hands) se charge lui-même – c’est bien involontaire - du travail de sape. Si Adriana sait déployer une énergie infinie à la complétude de son système, elle sait aussi être économe : viser juste dans le remplacement. Small Hands a la singularité physique d’être tatoué sur la quasi-totalité de son corps. Son derme est confondu de pigments. Il porte  l’essence de la peinture : son corps, c’est la caverne originelle, le lieu de naissance de l’art et le point de repère de l’histoire, celle de la main mise masculine sur la dénomination. Cet homme est l’archétype – et la caricature – du pouvoir qui ne se rend pas. Et Adriana s’en amuse, comme elle le voit se vexer et se frustrer - jusqu’à des colères folles - face à un mode qui ne l’adoube pas. 


Être élastique
La sexualité d’Adriana est vaste : le spectre de son historique et l’humanité comme largeur d’entreprise laissent entendre qu’elle sera sans borne. Adriana est élastique (physiquement) parce qu’elle est modale. Elle ne suit qu’une seule logique et cette logique repousse les lois de résistance des matières.


Faire l’amour
Elle s’accomplit dans la symbiose du dire-faire : faire l’amour, c’est lire le corps de l’autre comme s’il était le mien : les polarités – les différences – s’équilibrent et se rejoignent dans un seul espace : dire, c’est faire. Et faire, c’est sentir l’acceptation du soit dans les courbes du corps de l’autre.


Être parfait
Adriana est duelle sans être conflictuelle : fiction et réalité s’unissent dans un même corps. Ce corps équivoque (homogène et pluriel) intègre aussi les attributs culturels (non morphologiques et là est le point) de l’homme et de la femme (hermaphrodite culturel). Elle est individuelle et universelle. De la même façon elle parle d’une seule voix pour tout un monde.


Le castrat
Je – l’homme - ne peux être qu’actif dans la neutralité, c’est-à-dire que je dois m’individualiser dans la castration : exister dans une extra-sexualité. 


La révolution pour la révolution

Une  mesure temporelle
Depuis que le pouvoir se rend dès qu’il touche, depuis que l’échange est ininterrompue, la révolution fait office de mesure temporelle. La révolution étant elle-même indivisible, je lis un texte que je ne peux quantifier et pour cause : Adriana ne s’arrête pas – jamais. Elle n’est en attente d’aucun consensus : mon écriture n’a aucune valeur. Le point final est irréel.


L’union du livre et de sa critique

Adriana s’exprime par sa sexualité. L’objet de celle-ci est donc - aussi - le motif de son existence : motif qui se répétera infiniment et sans relâche. Le parfait d’Adriana, c’est qu’elle a besoin du perturbateur pour s’affirmer.

La danse d’amour d’Adriana – je n’oublierai jamais qu’il s’agit là d’amour – est éternelle.

Je la trouvepartout




À Feÿj’aborderai - je serais dans - le corpus d’Adriana. C’est aujourd’hui tout ce que je suis en mesure d’écrire. Il y a de la pornographie, de la révolte, de la littérature, de la femme, du neutre, du retournement, de la re-distribution de pouvoir. 
Aurélie me signale qu’Adriana est morte, qu’il faut que je la tue, que je mette un terme à ce projet comme il m’échappe un peu plus tous les jours et que par là la distance grandit. 
Paul me regarde en souriant lorsque je lui dis que je vais m’amuser à peindre des fleurs pour les présenter à l’exposition. Certainement le regard le plus tranchant et le plus déterminant qu’il m’est arrivé d’échanger.




Juliette
dit qu’avec Adriana je mesure la distance qui nous éloigne
Ellea raison

J’aimerai donner à voir où j’en suis dans cette recherche qui ne mènera à rien. 

C’est un bureau avec sa chaise, ses documents à lire, raturés, son ordinateur et le cinéma d’Adriana. 

“Lis donc ce que je ne sais plus lire” 
J’ai trois semaines pour la quitter - je dois cartographier tout ce qui a importé dans notre histoire - et le faire sans détour, sans érotisme. Je dois refuser la “préparation du roman”. 


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